Je l’aperçois de loin: une femme aux cheveux noirs, de dos, qui porte dans ses bras une petite fille d’à peine deux ans. Elle la balance plus qu’elle ne la berce, un coup à gauche, un coup à droite, mécaniquement. La main qui soutient les genoux de la fillette est ouverte: geste furtif, que je ne remarque que rétrospectivement: elle fait l’aumône.

Coup de poing dans la poitrine, mon cœur se contracte. Je reviens sur mes pas pour lui donner un billet.

Autre rue, même quartier, le lendemain. Assise par terre à même le sol, une toute jeune femme, cheveux cachés par un foulard, tente de distraire une petite qui ne marche pas encore, mais gigote d’impatience. Elle l’amuse d’un hochet singulier : le gobelet de plastique où elle tente de ramasser quelques pièces. Pour tout terrain de jeu, un bout de trottoir. Que faire d’autre que s’enfuir la gorge nouée, après avoir donné un pauvre billet froissé, pour lequel elle remercie profusément Allah ?

Dans la charte des droits de l’enfant, cette déclaration fondamentale : le droit de jouer.

Je pense à ma fille : à son effervescence, sa curiosité innée, et à la manière dont elle apprend le monde en courant d’un objet à l’autre. Et à l’une de nos parenting strategy en cas caprice ou de colère : la distraire en ouvrant un tiroir pour en sortir un objet inconnu. Cette mère n’a que ses bras et sa voix pour calmer son enfant.

C’est ça aussi Paris : la lumière dorée sur les façades 1920, les roses trémières qui débordent des balcons en fer forgé, la fête de la musique sur les jardins du Luxembourg, et à deux pas, une femme qui ne peut offrir à son enfant qu’une berceuse en plein soleil, et un verre en plastique. Un peu plus bas dans le même coin de rue, une boutique vend des chaussures d’enfant à 120 euros.